A propos des lois politiques, le curé Lacordaire a dit l’essentiel : « Entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. » Ainsi, en période de chômage, la loi qui réglemente le licenciement protège les salariés contre le diktat de la force économique. Dans une communauté de droit comme la République, la loi politique, vecteur de l’intérêt général, permet de soustraire les rapports des hommes à l’empire multiforme de la force. La laïcité réalise une telle exigence, et ne favorise ainsi que ce qui est d’intérêt commun. Elle promeut, avec l’autonomie morale et intellectuelle des personnes, la liberté de conscience, ainsi que la pleine égalité de leurs droits, sans discrimination liée au sexe, à l’origine ou à la conviction spirituelle.
La laïcité n’a jamais été l’ennemie des religions, tant que celles-ci s’expriment comme démarches spirituelles et ne revendiquent aucune emprise sur l’espace public. La séparation juridique de la puissance publique d’avec toute Eglise et tout groupe de pression, qu’il soit religieux, idéologique ou commercial, est pour cela essentielle. L’école publique et l’ensemble des services publics doivent être protégés contre toute intrusion de tels groupes de pression.
La naïveté n’est pas de mise. Dans la défense du port de signes religieux, en particulier à l’école, certains sont de bonne foi, même s’ils méconnaissent manifestement les exigences propres du lieu scolaire. Mais d’autres n’ont rien d’enfants de chœur. Il s’agit de groupes organisés qui conjuguent l’utilisation sophistique la plus habile de la rhétorique de la liberté et de la tolérance, là où ils n’ont pas encore le pouvoir, et les menaces assorties de violences diverses dans les quartiers où ils le détiennent de facto. Il est triste que certaines organisations – pourtant vouées à la défense de l’idéal laïque et des libertés – soient encore aveuglées et manifestent leur hostilité à une mesure législative destinée à conforter la laïcité. L’esprit laïque s’est-il affaissé en même temps que la défense résolue des acquis sociaux ?
Amalgame entre religion et identité
Il est navrant d’assister à une confusion conceptuelle qui conduit à traiter comme raciste toute mise en cause polémique d’une religion. Notons d’ailleurs l’aberration d’un tel confusionnisme. Le racisme vise un peuple comme tel. Quel peuple vise la critique de l’islam ? La population arabe ? Elle est démographiquement minoritaire parmi les musulmans... Le poison de l’amalgame entre culture et religion, ou encore entre religion et identité, fausse constamment les débats.
L’existence de discriminations, reflet d’un racisme ordinaire persistant, doit être évoquée comme toile de fond de la réflexion, comme tout ce qui fragilise la laïcité. Entre autres, la discrimination à l’embauche, souvent subie sans recours, peut conduire ceux qui en sont victimes à désespérer du modèle républicain et des valeurs qui lui sont liées. Ainsi, alors que l’école laïque prône l’émancipation et s’efforce d’en réaliser les conditions intellectuelles, la société civile réintroduit une inégalité.
Il ne faut pas s’étonner ensuite qu’une sorte de conscience victimaire conduise à valoriser a contrario l’origine ainsi stigmatisée, voire à la mythifier par le fanatisme de la différence. Le risque de la dérive communautariste, dès lors, n’est pas loin. Il ne faut pas que la grandeur des principes soit démentie par la bassesse des pratiques. Car la laïcité n’est pas un particularisme accidentel de l’histoire de France, elle constitue une conquête à préserver et à promouvoir, de portée universelle.